29/09/2014

Christian Lacroix. «A 12 ans, je me suis promis de faire de chaque journée une œuvre d'art»

C'est plus fort que lui : quelque soit l'hôtel où il séjourne pour une nouvelle création, Christian Lacroix imagine comment il le changerait. Par exemple, cet hôtel de l'Opéra à Toulouse : il y sirote une eau pétillante à deux pas du théâtre du Capitole où «Un bal masqué» va se jouer dans ses costumes...«Ici, je garderai certaines choses!», affirme-t-il dans un grand rire. Et c'est le point de départ d'un entretien à voix libre, sans masque.

Un bal masqué, de Verdi, c'est une histoire de jalousie et de vengeance au cœur du pouvoir, ça ne vous évoque rien?

Je n'ai pas suivi l'actualité depuis des semaines, j'ai tout de même entendu dire qu'un livre vengeur était sorti, c'est bien la preuve que ce thème est intemporel. Mais dans «Le Bal», Vincent Boussard, le metteur en scène, ne cherche pas à mettre les choses dans un contexte contemporain, il est plus entre l'onirique et le réel. Les couleurs du rêve se retrouvent dans les costumes, car il voulait un blanc proche des couleurs de lune, et je me suis bien tenu à ça : pour les femmes, c'est un mélange entre toutes les époques. Au bal, elles ont des robes qui vont de la Renaissance à 1900, rehaussées de dentelles et de brocarts récupérés ça et là, j'ai mes sources. Pour les hommes, c'est une tenue ni or ni argent : vermeil.

Les costumes de scène, c'est pour vous une grande passion?

Christian Lacroix dans les coulisses du Capitole avec Julia Novikova, costumée très sexy, qui tient le rôle d'Oscar dans «Un Bal Masqué». /Photo DDM Michel Viala.
(photo: robes de princesse)

Si vous saviez! Etudiant à l'école du Louvre à Paris, où j'ai rencontré Françoise, celle qui est ma femme depuis, on était abonné à l'opéra, tout en haut... En rentrant, si je n'avais pas aimé ce que j'avais vu, je redessinais tous les costumes. Je faisais pareil pour les films en sortant du cinéma.

Comment trouvez-vous les couturières du Capitole?

Très bonnes. On avait déjà testé le savoir- faire du Capitole pour «La Favorite», il y a une belle main, c'est vraiment une maison de couture, tenue par Habiba qui a travaillé avec les plus grands et dont je mesure la science. Ce qui est formidable ici, c'est qu'on vous répond tout le temps oui, et il y a une connaissance historique, un soin, un enthousiasme et un savoir-faire qui rapprochent des plus grandes maisons, je pense à la Comédie Française où je viens de faire le Lucrèce Borgia de Podalydès...

Retrouvez-vous des sensations de votre maison de couture?

Oui, par moments fugitifs, et je ne les souhaite pas! Je ne crache sur rien, mais la page est vraiment tournée. D'ailleurs, la couture, je ne l'ai jamais pratiquée en tant que couturier, je dessine mais je ne sais pas coudre. Je ne me suis jamais senti innovateur pour inventer une ligne, une technique, une nouvelle matière. Et la couture a tellement changé...Existe-t-elle encore? C'est de la couture pour tapis rouge...

Si on vient au Capitole voir les couleurs Lacroix, on sera surpris?

Cette fois-ci, il y en a zéro, juste du bleu, du vert, du blanc! Pour «La favorite», au mois de février, Mimette Drommelschlager, qui avait la boutique Lacroix à Toulouse, m'avait dit «J'ai l'impression d'être de retour dans vos défilés!». On m'a tellement identifié aux couleurs que j'aime, le jaune, le rouge, le fuschia, et dans lesquelles j'ai toujours ressenti une sensualité. Dès l'école maternelle il fallait m'empêcher de manger les peintures si crémeuses dans leurs petits godets!

Quand on pense à vous, viennent très vite des images du sud, de la Camargue...

Le jour de mon premier défilé, on m'a demandé «quels sont vos intemporels?», j'avais ri de surprise, mais c'était là : les couleurs, le sud, les cœurs, les Arlésiennes. Ma ville natale compte énormément, mais il y a eu un moment, après le décès de ma mère, où elle ne me parlait plus, je ne ressentais rien. Et puis quand la maison d'Yvan Audouard (du «Canard enchaîné») a été à vendre, ma femme m'a dit : c'est le moment d'y retourner.

A l'occasion du «Bal», vous avez accepté d'imaginer un nouveau logo pour «La Dépêche». Qu'est-ce qui vous a fait accepter?

Justement, ce que j'aime, travailler à la fois pour une pièce unique destinée à une cantatrice ou à la femme d'un banquier américain. et réaliser autre chose pour tout le monde, même anonymement. J'ai adoré par exemple faire les abris de tramways de Montpellier, la ville de ma jeunesse, comme j'ai adoré faire les salles de cinéma pour Gaumont dont j'ai renouvelé la charte graphique pendant cinq ans. Je me suis rendu compte que ce qui me motivait, c'était des choses auxquelles tout le monde avait accès. Il y a ce film que j'adore, «Soudain l'été dernier» : à un moment Katharine Hepburn dit de son fils qu'il faisait de chaque journée une œuvre d'art. J'avais 12 ans et je me suis promis de faire de chaque journée une œuvre d'art!

Et de faire du ciel le plus bel endroit de la terre, avec les hôtesses d'Air France que vous avez rhabillées en 2005?

Moi qui suis timide, le jour de la présentation de mon projet, j'ai pris la parole et je ne l'ai plus lâchée : les hôtesses m'inspiraient, les premières, avant guerre, venues de l'armée et de l'aristocratie, puis les filles comme les Parisiennes de Kiraz. Je leur ai dessiné toute une garde-robe dans laquelle elles peuvent piocher.

Pourquoi aviez-vous quitté la couture?

J'ai eu la chance d'être lancé aux Etats-Unis en 1987 par la presse américaine, puis les années 90 sont arrivées, avec la nécessité de vivre à la Dolce Gabbana, à la Versace, avec des villas que je ne pouvais pas me payer, où il fallait passer ses vacances sur des bateaux ou avec tous les tops de l'époque... Je préférais les passer en camargue avec mes amis et je refusais les séances de photos. Je n'ai pas eu l'envie ou la force de jouer le jeu, je sentais que je n'avais pas la trempe. J'ai alors été bien conseillé en renégociant mon contrat qui m'a permis de faire d'autres choses, comme le TGV ou des hôtels, et de considérer la maison qui portait mon nom comme un client parmi d'autres.

Jean-Paul Gaultier arrête le prêt à porter. La maison Lacroix a disparu et vous ne dessinez plus de mode...

Ehbien si! Je dessine quelques pièces pour les Barcelonais de Desigual, mais il n'y a pas mon nom, seulement le dessin d'une tête ronde à lunettes sur l'étiquette.

Un drame cousu de fil blanc

Pour réaliser les costumes d'Un bal masqué, Christian Lacroix a travaillé par collages d'images qu'il a juxtaposées aux photographies des interprètes.

«J'ai toujours collectionné des tonnes d'images découpées chaque semaine dans la presse, raconte le créateur, mais au tournant de l'an 2000, je me suis décidé à le faire par ordinateur!». Pour la phase de réalisation, lui qui collectionne aussi les tissus, les dentelles et les brocarts en a apporté en quantité à Toulouse pour rehausser les robes «lunaires» de la scène finale. Toutes différentes, ces tenues sont unies par le blanc, le code couleur demandé par le metteur en scène.

voir aussi: robe de soirée blanche

09:03 | Tags : mode | Lien permanent | Commentaires (0)

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